Compétences critiques : identifier les savoirs à risque de disparition

La transmission des compétences critiques représente un défi majeur pour les entreprises en raison des départs massifs en retraite qui se profilent. L’absence d’un cadre formel qui centralise les savoir-faire tacites et facilite l’onboarding des nouvelles recrues accentue le risque de perte des aptitudes clés. Le cabinet Korn Ferry souligne que la pénurie de compétences en France pourrait entraîner 175 milliards d’euros en perte de revenus d’ici 2030. On vous propose une grille de lecture simple et actionnable pour identifier les savoirs non couverts par la formation classique et anticiper leur transmission.

Pourquoi certaines compétences deviennent-elles critiques sans être visibles ?

Les savoirs souvent invisibilisés en entreprise sont indispensables pour une bonne collaboration équipe terrain et une performance générale de votre entreprise. Ils englobent les connaissances sectorielles, les compétences techniques spécifiques à votre domaine et certains savoir-faire informels.

Leur perte peut entraîner des retards d’exécution voire une baisse de productivité des équipes terrain.

L’érosion silencieuse des savoirs informels

Dans leur rapport sur la gestion des talents dans les entreprises françaises, l’ANDRH et le cabinet FéFaur soulignent un point qui justifie cette érosion. L’enquête conclut en effet que la gestion des talents est critique pour 63 % des organisations interrogées.

Les compétences tacites ne sont en général ni formalisées ni reconnues officiellement au sein des entreprises. Contrairement aux savoirs formels, ils sont implicites et s’obtiennent à travers l’observation et l’expérience. Ces particularités les rendent difficiles à détecter et à quantifier.

La disparition silencieuse de ces aptitudes s’explique aussi par la formation continue équipe terrain qui prévaut dans le secteur industriel, hôtelier et retail. Les agents opérationnels ne sont pas toujours conscients de l’étendue de leurs propres compétences informelles, car ils les considèrent comme évidents.

Départs à la retraite, mobilités, évolutions technologiques

La génération la plus nombreuse de l’histoire française (les baby-boomers) dépassera les 65 ans en 2030. Avec eux, ce sont des milliers de techniciens, d’ingénieurs et d’ouvriers spécialisés qui partiront à la retraite avec un précieux savoir technique.

Dans l’industrie nucléaire par exemple, le départ de toute cette génération d’ingénieurs expérimentés induit plusieurs risques sur la validité de futurs projets. 70 % des besoins en tuyauteurs, soudeurs et chaudronniers ne sont pas couverts dans l’Hexagone.

La mobilité des talents complexifie la transmission des savoirs informels. Les bouleversements technologiques comme l’internet des objets (IoT) et l’Intelligence artificielle couplés aux restructurations organisationnelles induisent une évolution rapide des besoins en compétence. Cette situation tend à rendre certains savoirs informels obsolètes.

Ce que la formation classique ne couvre pas

La formation classique s’oriente vers l’acquisition de connaissances théoriques. Elle présente des limites en matière d’expérience pratique, d’adaptabilité et de développement d’aptitudes spécifiques à certains contextes ou métiers. Le parcours de formation standard ne prend pas toujours en compte :

  • Les besoins spécifiques liés aux mises en situation réelles ;
  • Les différences de styles d’apprentissage ;
  • Les compétences techniques relatives aux métiers terrain en constante évolution.

La tendance à mettre en avant les qualifications académiques et les savoirs formels peut aussi marginaliser les connaissances informelles, d’où l’importance de les identifier.

Une grille de lecture pour repérer les savoirs à risque

Les compétences rares sont détenues par quelques talents ou peu utilisées dans le cadre de l’activité courante de votre entreprise. À l’inverse, les savoirs critiques désignent toute aptitude essentielle à la continuité du service ou à la performance globale. Voici une grille de lecture pour distinguer ces deux notions et mieux organiser la transmission des compétences clés dans votre environnement de travail.

Identification des savoirs à risque

Cela concerne la détection des compétences essentielles au bon fonctionnement, à la capacité à innover et à la compétitivité de l’entreprise. Ces savoirs qui conditionnent la performance terrain peuvent être managériaux, techniques, relationnels…

Les méthodes à adopter pour l’identification sont :

  • Analyse des processus clés et des compétences requises pour leur réalisation ;
  • Entretiens avec les experts métiers afin de comprendre la nature et l’importance de leurs savoirs ;
  • Analyse des risques relatifs à la perte des savoir-faire propres à chaque métier ;
  • Cartographie des compétences par collaborateur et par poste.

Évaluation de la criticité de chaque compétence essentielle

Les critères d’évaluation sont les suivants :

  • La rareté du savoir critique ;
  • La difficulté à acquérir et à maîtriser cette compétence essentielle ;
  • La vulnérabilité face aux mouvements et départs dans l’organisation ;
  • Le caractère indispensable du savoir pour un ou plusieurs processus clés ;
  • L’impact financier lié à la perte de cette compétence.

Nous recommandons la mise en place d’une échelle de cotation pour déterminer la criticité de chaque compétence identifiée.

Mise en œuvre des stratégies de capitalisation et de transfert

Procédez à la documentation des connaissances à risque de disparition pour formaliser et diffuser le savoir au sein de votre entreprise.

Les pôles Learning et Développement (L&D) ont tout intérêt à effectuer un audit sur la formation et le partage d’expérience (réunions, ateliers, communautés de pratique). Cette approche permet d’établir des stratégies pérennes qui incluent la transmission des savoirs informels.

Il convient par ailleurs d’anticiper les besoins en compétences clés et de mettre en place des plans de mobilité/recrutement pour pallier les départs. Une stratégie de transfert de connaissances avant les départs permet d’institutionnaliser le processus de transmission des savoirs terrain.

Plan de gestion des compétences clés

Commencez par la phase d’élaboration qui consiste à déterminer les objectifs, actions, indicateurs de mesure et responsabilités liés à chaque compétence critique.

La mise en œuvre du plan de gestion suppose ensuite d’implémenter les actions prévues et d’automatiser le suivi de leur efficacité.

Assurez-vous enfin de réévaluer ce plan de gestion afin de l’adapter à l’évolution de votre entreprise et de ses besoins.

Anticiper la disparition et organiser la transmission des compétences critiques

Conformément à la grille de lecture, vous devez initier de profonds changements dans la gestion des talents de votre entreprise. Voici les trois principaux axes à privilégier.

Mobiliser le tutorat, le mentorat et les communautés de pratique

L’objectif de transmettre les savoirs critiques peut se réaliser suivant deux prismes : l’apprentissage individuel et la montée en compétences collective.

Pour un suivi personnalisé, privilégiez :

  • Le tutorat d’intégration ;
  • Le parrainage d’un expert métier ;
  • Le mentorat classique d’un profil senior envers une nouvelle recrue ;
  • Le mentorat inversé d’un jeune talent à destination d’un collègue expérimenté ;
  • Le binômage de compétences dans le cadre d’un projet commun.

L’apprentissage collectif des savoirs critiques passe, quant à lui, par la cartographie des processus de travail et les groupes de partage des bonnes pratiques.

Structurer la documentation et capitaliser les savoirs clés

Vos documents d’onboarding doivent être concis, clairs et accessibles. Pensez à formaliser les procédures à travers des tutoriels et des bases de connaissances classées par catégories, thèmes ou projets.

Exploitez les plateformes de formation en ligne (LMS) ainsi que les outils de gestion des compétences pour optimiser la transmission et le suivi des modules. Assurez aussi la mise à jour fréquente de la documentation.

Mettre en place des parcours d’apprentissage spécifiques

Déployez des parcours d’apprentissage personnalisés sur la base d’objectifs de formation mesurables, pertinents, atteignables et temporellement définis. Impliquez les managers et les collaborateurs à divers niveaux dans le processus d’identification des besoins pour définir des objectifs au plus proche de la réalité.

Segmentez les parcours en plusieurs modules de formation courts et ciblés pour faciliter la montée en compétence et le suivi des progrès. Nous vous suggérons aussi d’intégrer des évaluations régulières pour une mesure plus juste de l’acquisition des connaissances et l’ajustement des parcours si nécessaire.

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